26 Janvier 2011
par René RICHARD
Il est des personnages qui, par leur comportement, leur caractère, leur talent ou leur courage, marquent durablement leur époque en laissant aux générations suivantes, et aux jeunes en particulier, un modèle de vie basé sur des valeurs universelles et patriotiques.
Emile-Paul-Aimable Guépratte fait partie de ces hommes d'exception que la mémoire collective ne doit pas oublier.
Pendant la Première guerre mondiale, des milliers d'hommes se couvrirent de gloire. L'un de ces héros, exemple de bravoure exceptionnelle, fut l'amiral Guépratte. Ce n'est pas seulement la France qui a su reconnaître les qualités de chef de ce Brestois d'origine, ce sont également les Anglais qui ont enseigné à leurs enfants les mérites de cet homme qu'ils ont surnommé "Fire eater", le mangeur de feu.
Le "mangeur de feu" de l'expédition des Dardanelles.
Né à Granville le 30 août 1856, Emile Amable Guépratte est issu d'une famille de marins: son père Charles est capitaine de vaisseau, son grand-père Aimable Constant Jehenne était contre-amiral. Il poursuivit ses études au lycée impérial de Brest et entra ensuite à l'école navale. Après avoir commandé en 1905 le cuirassé Jeanne d'Arc et le cuirassé Marseillaise, après avoir été nommé contre-amiral le 2 septembre 1912, il a reçu le commandement du front de mer à Brest. Au début des hostilités, en 1914, il est rattaché à la première division navale en Méditerranée.
L'amiral Guépratte assure alors la protection des troupes entre l'Algérie et la métropole ainsi que la surveillance du détroit de Sicile. Mais ces missions ne suffisent pas à cet homme hors du commun. Il demande avec insistance à ses supérieurs un commandement plus proche de l'action. Il est alors envoyé à Port-Saïd pour collaborer à la protection des convois anglais de l'armée des Indes. Il est affecté avec sa division à la Force navale britannique de l'amiral Hamilton Carden qui bloquait le détroit des Dardanelles où s'étaient réfugiés les croiseurs allemands Gœben et Breslau. Ces deux croiseurs venaient d'accomplir plusieurs missions surprises en Méditerranée occidentale et s'étaient abrités auprès de leur allié turc.
Le 3 novembre 1914, avec les cuirassés Suffren et Vérité, appuyés de croiseurs anglais, l'amiral Guépratte bombarde une première fois les forts de l'entrée du détroit. Il tente ensuite de forcer le passage afin d'atteindre la mer et d'attaquer Constantinople. Le 18 mars eut lieu l'attaque principale. Guépratte avait sollicité l'honneur de commander l'avant-garde et il le fit avec une folle audace en pénétrant le premier dans le détroit avec deux vieux cuirassés. L'opération fut un échec : trois cuirassés coulés, dont deux anglais. Le Suffren et le Gaulois furent gravement endommagés ainsi que plusieurs autres bâtiments. L'amiral anglais John de Robeck s'adressa aux lords de l'amirauté en disant : " Splendide, malgré l'âge de ses bâtiments, l'escadre française n'est aucunement troublée par ses lourdes pertes. L'amiral Guépratte l'a conduite au feu avec la plus grande bravoure."
Le forcement du détroit abandonné, une opération combinée appelée "la bataille des cinq plages" fut un succès.
En avril 1915, Guépratte écrivait : "Je regrette que la République soit si pauvrement représentée dans une opération de guerre aussi belle. Il y a une convenance urgente à nous renforcer par de véritables unités de combat." Son impétuosité étant taxée de folie à Paris et sa tactique qualifiée d'absurde, on se débarrassa de lui en le nommant vice-amiral et préfet maritime de l'arrondissement algéro-tunisien à Bizerte où il exerça une influence considérable et un rôle important, en particulier pour l'entraînement des troupes serbes.
Après 47 années de service effectif, il se présenta à la députation sur le liste de "Concentration Républicaine Démocratique". Elu le 16 novembre 1919, il adhéra au groupe de la Gauche Républicaine Démocratique. Il se concacra aux questions intéressant la Marine et écrivit :
"A toute nation, il faut un chef. La constitution de 1875 a proclamé irresponsable le Président de la République ! C'est un tort ! Dix ans de présidence non renouvelable, voilà l'idéal." C'était bien un visionnaire.
Sir Winston Churchill lui écrivait en 1924 : " Pour votre part, vous avez fait honneur à une opération de guerre qui aurait changé l'histoire du monde si elle avait été menée avec une résolution égale à la vôtre."
De Brest à Saint-Mathieu et de Saint-Mathieu au Conquet :
Sa jeunesse ayant été, comme sa vie de marin, nourrie aux embruns du large, il n'est pas étonnant que ce Brestois ait aimé, au soir de sa vie, se retrouver le plus souvent possible sur le sentier des douaniers qui longe la côte entre Saint-Mathieu et Le Conquet. "Ce sentier que fouette le vent du large, pas un arbre, simplement de maigres fougères et quelques chardons qui s'efforcent de trouver une terre nourricière entre les blocs usés de granit breton. C'est un paysage quasi éternel qui s'offre à ses yeux. De grandes vagues lentes se brisent sur les rochers. Un goéland plane, bercé dans ce ciel de bout du monde où passent de lourds nuages blancs sur un fond de bleu pur. Depuis des millénaires, combien d'hommes sont venus jusqu'à ces rives contempler et craindre, du haut des falaises, ces mystérieuses routes de la mer où l'on voit parfois se coucher un soleil de feu..."
" Le cadre étant planté, sa splendeur, comme son caractère grandiose et poignant étaient tout désignés pour accueillir l'hommage séculaire que la représentation nationale avait souhaité offrir aux marins disparus." C'est donc tout naturellement qu'étant élu député il a pu œuvrer à Paris pour que la décision d'ériger le monument dédié aux marins disparus se situe en Finistère et plus particulièrement à Saint-Mathieu. Le mémorial fut la dernière œuvre publique d'une vie bien remplie. Lors de l'inauguration de la grande stèle de 17 mètres aux marins morts pour la France, Monseigneur Duparc concluait son homélie à la gloire des héros de la guerre maritime en disant : " Nos vieux saints bretons expliqueront aux pélerins de l'avenir le secret de ce nouveau menhir dressé au bout du monde en l'honneur de nos marins de la Grande guerre, près de cet océan tumultueux où leur existence terrestre a sombré, aux confins du ciel infini qui s'est ouvert pour les recevoir. Ils leur raconteront l'inoubliable et véridique épopée en répétant, avec la liturgie, que le sacrifice qui a glorifié nos marins a procuré notre salut."
L'amiral, pour sa part, répondit sobrement : " Il me plaît de venir saluer ici le beau mausolée dû au ciseau de l'éminent statutaire René Guillevic et honorer à jamais dans la grande brise du large la glorieuse mémoire des marins disparus."
Tout était dit, tout était écrit dans le ciel breton pour l'éternité. (*)
L'amiral Guépratte est décédé à Brest le 21 novembre 1939, quelques semaines après la troisième déclaration de guerre contre l'Allemagne.
A Paris, aux Invalides, si l'empereur dort d'un sommeil éternel, non loin de lui, au côté des plus grandes gloires de la nation, l'amiral Emile Guépratte repose en paix. Quel paradoxe pour cet homme qui aimait passionnément la guerre pour la plus grande gloire de son pays.
La ville du Conquet, pour célébrer la mémoire de ce grand homme, lui a offert cette rue qui conduit le promeneur de la mairie à la ria majestueuse qui s'ouvre sur la mer d'Iroise et l'infini de l'océan Atlantique. Hommage justement mérité.
administrateur de l'association "Aux Marins"
a également publié cet article sur le site de l'association "La mer en livres" .
Pour y accéder, cliquez sur le lien suivant
(*) Retrouvez sur notre blog l'intégralité du discours prononcé par Monseigneur Duparc le
12 juin 1927 à l'occasion de l'inauguration de la stèle élevée à la mémoire des marins morts pour la France de la Pointe Saint Mathieu, en cliquant sur le lien suivant :
12 Juin 1927 - Inauguration du Mémorial des Marins Morts pour la France
EN SAVOIR PLUS :
L'amiral Guépratte a publié aux éditions Payot en 1935 : " L'EXPEDITION DES DARDANELLES 1914-1915 " | Les amiraux britanniques Sir Ian Hamilton et sir John de Robeck avaient déjà publié leur récit de l'expédition sous le pseudonyme de Testis : Librairie Payot &Cie 1917 |
Ed. de la Cité 1988 | Ed. Presses de la Cité 1998 |
Ed. L'Harmattan 2005 | Ed. Le Livre de Poche 2006 |
Ed. "Aux Marins" 2010 | Ed. du Gerfaut 2004 |
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