24 Octobre 2012
Lors de l’assemblée générale 2012 de l'Association "Aux Marins" , Daniel Penven délégué de l'Association Aux Marins en Charente-Maritime a eu l’occasion de rencontrer une adhérente de l’Association qui lui a fait part de son souhait de retrouver d’anciennes camarades qui, comme elle, auraient été pensionnaires de l’orphelinat de la Marine à Rochefort-sur-Mer (17).
En effectuant ses recherches auprès du Service Historique de la Défense de Rochefort, Daniel Penven a découvert un épisode relativement méconnu du passé historique de la ville :
L’Orphelinat de la Marine à Rochefort.
(Source SHD Rochefort archives sous cotes 16 w13 et 16 w14)
Préambule
A la fin du dix-septième siècle, la situation de la France est difficile. Elle est en guerre. La prise de pouvoir de Guillaume d’Orange, ennemi juré de la France a fait basculer l’Angleterre jusqu'à présent neutre. Une partie des pays « européens » de l’époque se sont ligués contre les Français. La guerre de la ligue d’Augsbourg va durer neuf ans de 1688 à 1697. Elle va faire beaucoup de morts et d’orphelins.
Le pays subit également une grande famine (1693-1694) due, à un hiver très rigoureux fin 1692 et en 1693 à une très mauvaise récolte à la suite d’un printemps et d’un été très pluvieux. La sous-alimentation génère des maladies graves (typhus, tuberculose…). A Rochefort, régulièrement frappée par les épidémies, la mort laisse sans asile et sans pain un grand nombre d’enfants…..
Historique
Création de l’orphelinat sous Louis XIV (1638 – 1715)
Devant cette situation catastrophique, certaines âmes charitables se réveillent. Saint-Vincent de Paul n’est plus (décédé en 1660) mais son influence demeure. Ainsi à Rochefort, Madame Bégon aidé de son mari, l’intendant Michel Bégon, principal acteur avec Colbert du Terron, du développement de l’arsenal maritime et de la ville, décident, en 1694, de fonder, grâce à leurs deniers et biens personnels, « l’hôpital des Mousses » pour aider les orphelins garçons et surtout un asile pour les filles abandonnées.
Faute de moyens et concours nécessaires, l’orphelinat des garçons n’aura qu’une durée éphémère.
Par contre, l’asile des filles, aménagé par Madame Bégon dans une maison appartenant au roi, à proximité de l’hôpital royal de la Marine, demeure. Il se situe sur le site de la caserne Charente (par la suite, appelée la caserne Joinville). On l’appelle alors le « petit hôpital de charité » ou « l’hôpital des femmes ».
Sa direction est confiée aux sœurs de charité (qui deviendront plus tard, les sœurs de l’ordre de Saint-Vincent de Paul) déjà présentes à l’hôpital de la Marine. Il compte au début 30 orphelines.
Louis XIV, a qui l’intendant a rendu compte des motifs et des premiers résultats de cette fondation, remercie les Bégon de ce qu’ils font pour récompenser, (via leurs enfants, souvent abandonnés), les « services des pères morts pour le roi ». Des lettres patentes (les décrets de l’époque), confirment en 1694 la fondation de l’établissement et le dotent d’une rente annuelle imputable sur les fonds de la Marine (2000 livres).
A cette ressource fondamentale viennent s’ajouter les dotations annuelles imposées par Bégon aux concessionnaires de terrains domaniaux et des legs faits par des personnes charitables. Par ailleurs, en plus des 30 orphelines initiales, 12 veuves de marins morts pour le roi sont également admises dans l’établissement.
En 1696, par de nouvelles lettres patentes, Louis XIV approuve cette extension et y affecte une rente additionnelle de 2150 livres, payable par les receveurs des aides et des gabelles de ses fermes de Saintonge et d’Aunis.
Grâce aux initiatives renouvelées de Bégon, jusqu’à sa mort, l’hospice des orphelines et de veuves de la Marine, vit, augmenter, chaque année, ses revenus et ses biens et put ainsi acquérir droit de cité à Rochefort.
Bégon meurt en 1710, il laisse son œuvre prospère et lui lègue une rente dont ses descendants sont chargés d’acquitter les arrérages. Le fils de M.Bégon paya d’abord régulièrement sa dette mais s’étant exilé au Canada, il fit de mauvaises affaires et petit à petit il fût dans l’impossibilité d’honorer celle-ci. Par lettres, il s’en excusa auprès de la mère supérieure de l’établissement puis cessa définitivement les versements.
L’orphelinat sous Louis XV et Louis XVI (1710 – 1793)
Au 18ème siècle, l’hospice prend encore de l’extension. En 1708, on dénombre 45 orphelines et une vingtaine de « femmes malades ».
En 1709, il gèle à pierre fendre et la bise se mêle à la neige. C’est le grand hiver, les fossés le long des chemins sont jonchés de cadavres … « mort de faim » écrivent les curés sur les registres paroissiaux…
Devant les nécessités, on songe alors à transformer l’établissement en un hôpital général. Cela ne se fera pas mais l’hospice gardera des liens très forts avec « l’hôpital royal de la Marine » voisin où les sœurs de charité constituent pour l’essentiel le personnel infirmier.
En 1737 et 1738, la Marine cède à l’hospice, le produit de la vente de quelques maisons situées près de l’établissement et l’hospice acquiert la métairie Béligon qu’il gardera pendant longtemps et qui lui procurera le revenu de la location et celui de la « moitié du bail de la boucherie de Carême ». Curieux hasard, le nouveau centre hospitalier de Rochefort, inauguré début 2011 a été bâti sur ce même site de Béligon…
En 1779, la sollicitude royale se manifeste une dernière fois. Par lettres patentes dont un manuscrit original peut être consulté au service historique de la Défense, Louis XVI confirme la nécessité de l’hospice-orphelinat. : « Par le roi de France et de Navarre…. l’avantage qui résulte dans notre port et arsenal de la Marine à Rochefort de l’établissement d’un hôpital de charité fondé en 1694 et 1696 …. destiné à recevoir de pauvres filles orphelines des maîtres d’équipage, charpentiers, calfates et autres gens de mer morts et tués à notre service…. ».
Le nombre de pensionnaires est porté à 40 orphelines et à vingt celui des « pauvres femmes des gens de mer, veuves ou malades ». Les lettres susvisées prévoient également que les ressources augmenteront par la possibilité d’obtenir des dons et des legs en plus des dotations annuelles réglementaires « jusqu’ à concurrence des besoins ».
L’orphelinat sous la Révolution (1789 – 1799)
La révolution de 1789 survient, l’hospice des orphelines subit alors, comme toutes les institutions à cette époque, les effets de la crise générale. La plus grande partie de ses ressources sont supprimées, l’orphelinat se trouve dans une situation critique, même si certains revenus en argent sont remplacés par des fournitures en nature des magasins de la Marine.
En définitive, l’établissement ne doit son salut, qu’à la compétence et l’autorité reconnues de sa directrice de l’époque la « citoyenne (sœur) Rivière », qui sut admirablement défendre son institution et au respect et à la confiance qu’inspiraient les sœurs de charité.
Dans un rapport adressé, le 23 prairial an III, à l’agent maritime de Rochefort par le chef civil de la Marine et l’intendant en chef des bâtiments civils, la cause de l’hospice est défendue contre l’agence de secours qui voulait l’absorber : « … les bons effets qu’a produits cet établissement ne sont pas douteux et les conserver à la Marine est le moyen d’attacher au port de Rochefort les meilleurs ouvriers…. Mais pour cela on doit conserver à l’établissement toutes ses ressources, lui remplacer les rentes supprimées et enfin rétablir l’usage de faire dans la maison, l’apprentissage aux orphelines… ».
Conformément à cet avis, un arrêté du Comité de salut public du 29 messidor an III confirme l’établissement, le conserve à la Marine et interdit au district de Rochefort de s’immiscer dans la régie de l’hospice.
En 1792, des troubles surviennent à l’orphelinat car la mère supérieure refuse de prêter le serment civique et cache dans l’établissement des prêtres réfractaires. Toutefois, tout rentre dans l’ordre après que certaines sœurs acceptent de prêter serment.
L’orphelinat sous le Consulat et l’Empire (1799 – 1815)
La sœur supérieure, qui avait eu la lourde responsabilité de la direction de l’hospice pendant toute la période révolutionnaire était encore à la tête de l’établissement sous le Consulat. Elle connût, d’une part, l’hommage rendu aux filles de la charité par le ministre de l’intérieur Chaptal dans un arrêté du 1er nivôse an IX et, d’autre part, assista à la reconstitution du budget régulier de l’orphelinat. En effet, par une dépêche du 3 messidor an IX, le ministre de la Marine décida qu’il ne serait plus fait de distributions de vivres à l’hospice, mais que ce genre de secours, qui lui avait été accordé pour compenser la suppression des subventions précédemment allouées, serait remplacé par le paiement d’une somme annuelle et par tête de 120 francs à prendre dans la Caisse des invalides de la Marine, dans la limite totale de 6000 francs somme qui, à l’époque était jugée suffisante pour subvenir aux besoins de l’établissement.
La directrice de l’hospice fut également avisée par une décision ministérielle, le 13 mars 1809 que la solde des religieuses (200 francs par personne) cesserait d’être réglée sur les fonds budgétaires de la Marine mais incomberait désormais au budget propre de l’orphelinat.
Il était aussi précisé que les effectifs réglementaires de l’hospice étaient de 40 orphelines (âgées de moins de 14 ans) et 12 femmes de marins, d’ouvriers et de militaires de la Marine.
L’orphelinat après 1815
En 1842, par une dépêche adressée au préfet maritime de Rochefort, la Marine, sous le ministère de l’Amiral Duperré, n’ayant pas assez de casernes décide de détruire l’hospice et construire sur le même emplacement une caserne d’artillerie pouvant recevoir 2000 hommes. Pour témoigner à la ville le désir que l’on avait de lui restituer l’hospice, la Marine décida d’acheter un terrain sur lequel serait bâti un nouveau bâtiment.
En attendant, l’établissement fût transféré à Saintes où la Marine possédait une succursale de l’hôpital pour convalescents. Les formalités, les travaux de construction du nouvel hospice durèrent 5 ans et en 1848, le nouvel orphelinat fût inauguré à l’emplacement de la rue Martrou, actuelle rue Jean Jaurès.
En 1849, le 8 septembre, un décret porte constitution définitive de l’hospice-orphelinat tel qu’il va fonctionner jusqu’à sa fermeture.
Les sœurs de Saint-Vincent de Paul sont confortées dans leurs fonctions d’assurer le fonctionnement intérieur de l’établissement. L’âge de sortie des orphelines est porté de 14 à 18 ans. Enfin, un commissaire ordonnateur est chargé de la gestion des revenus, de la surveillance et la tenue de la comptabilité.
Cependant, les revenus de l’établissement deviennent insuffisants, au vu de l’accroissement régulier des charges et de la hausse constante du coût de la vie. Pour faire face, un décret du 23 août 1856 autorise l’aliénation de la métairie de Béligon, cédée à l’hospice en 1738 mais devenue peu rentable. Le prix de la vente est réemployé en rentes sur l’Etat.
L’orphelinat : les années 1900
La chapelle de l’hospice était aussi une source de revenus. Mais en 1902, l’établissement perd le produit des quêtes et des aumônes recueillies au cours des cérémonies religieuses.
En 1937, l’établissement est confronté à une pénurie de sœurs éducatrices. Cette situation va empirer sous l’occupation allemande. Partout en France, les sœurs de charité ont de grandes difficultés de recrutement. Cependant bon an, mal an, l’établissement va perdurer.
En 1958, par décret n° 58-1060 du 31 octobre (JO du 8 novembre 1958 page10097) l’hospice devient établissement public. La Marine reste le ministère de tutelle mais on nomme un agent comptable contrôlé par le ministère des Finances. Le nombre d’orphelines passe de 40 à 60 et désormais l’on admet celles des personnels civils de la Marine et des autres armées y compris celles de la marine marchande ou de l’inscription maritime. Le nombre de veuves est fixé à douze.
Fonctionnement intérieur de l’orphelinat
Conditions d’admission, les enseignements
Les orphelines sont admises à l’orphelinat en principe à partir de l’âge de 4 ou 6 ans sauf cas exceptionnels dûment étudiés. Elles doivent être en bonne santé et peuvent rester jusqu’à l’âge de 18 ans (initialement 14 ans).
Pour les veuves, l’indigence est la condition essentielle de leur admission et celles qui, en plus, sont dénuées de droit à pension sont prioritaires.
Les pensions et toutes autres sommes allouées au titre des pensionnaires (allocations familiales par exemple) sont reversées à l’hospice. Une quote-part leur est restituée pour leurs besoins personnels. Ainsi les veuves perçoivent trois francs par mois.
Pendant la durée de leur internat, les orphelines reçoivent essentiellement un enseignement religieux et un enseignement scolaire en rapport à leur âge.
Elles apprennent à lire et écrire et selon le règlement de 1784 apprennent à travailler soit « la dentelle, la filerie ou le tricot ». Cette formation professionnelle doit leur permettre d’obtenir le CAP de couture.
Elles reçoivent également une formation ménagère et familiale dans le but de devenir une bonne maîtresse de maison. En plus des enseignements obligatoires, les orphelines participent aux tâches domestiques journalières. Elles aident les sœurs à soigner les malades et à éduquer leurs plus jeunes camarades.
Le règlement de 1849 insiste sur le travail manuel à « l’ouvroir » (lieu où se réunissent les sœurs pour travailler). L’ouvroir constitue, à la fois, une école d’apprentissage et un moyen de rémunération des orphelines car elles peuvent recevoir une part fixée à 1/5eme du produit de leur travail. Celui des plus jeunes apprenties appartient aux orphelines plus âgées qui les dirigent.
Il constitue également une source de ressources pour le budget de l’hospice grâce aux ventes des travaux réalisés. A cet effet l’ouvroir doit fonctionner en permanence et ne doit pas souffrir d’une pénurie de main-d’œuvre. Pour cela, le ministre de la Marine autorise l’ouverture d’un atelier annexe où les anciennes orphelines de plus de 18 ans peuvent continuer, en cas de besoin et contre rétribution, à honorer les demandes de travaux reçues par l’hospice.
Le règlement de 1935 note que les pensionnaires effectuent 7 heures de travail journalier entrecoupées par le repas et les récréations. Il insiste surtout sur l’enseignement religieux et précise que tous les actes doivent être ponctués de temps de dévotion. A 5 heures en été, 5 heures 30 en hiver, les pensionnaires se lèvent en « offrant à Dieu leurs premières pensées ». Ensuite leur journée comprend des temps de prières et oraison et des temps de silence et méditation. Leur vie monacale est donc entièrement tournée vers Dieu et la religion.
Pendant l’été, les pensionnaires sont envoyées en « aération » à Piedemont, lieu-dit de la commune de Port-des-Barques, à l’embouchure de la Charente, pour parfaire leur santé au bord de la mer. La maison de vacances de Piedemont appartient à la congrégation des sœurs de Saint-Vincent de Paul.
Les sœurs sont assistées, selon les besoins, pour les travaux de l’ouvroir par deux personnes « maitresse de travail » et pour l’exécution des autres travaux qu’elles ne peuvent faire elles-mêmes, par un jardinier, une servante, un berger pour la métairie. De plus, les sœurs devenues handicapées ou infirmes sont maintenues à l’hospice et selon leurs possibilités sont chargées de divers emplois secondaires.
La Marine pourvoit gratuitement au service religieux et médical au moyen de ses aumôniers et ses médecins ainsi qu’à la délivrance des médicaments prescrits aux malades.
La fermeture de l'orphelinat
Dès sa création et jusqu’à sa fermeture l’orphelinat a été dirigé par les sœurs de la charité devenues sœurs de Saint-Vincent de Paul. Leur action a été pendant toute cette période louée et de nombreux témoignages de satisfaction leurs ont été adressés.
Mais malgré différentes réorganisations et tout le bien que l’on pensait de cet établissement, l’orphelinat de la Marine à Rochefort a été définitivement fermé en 1964. Les crédits s’amenuisaient chaque année et les sœurs, pour leur gestion en étaient arrivées à vivre de la charité du commandement de la Marine locale. Dans ces conditions, la congrégation des sœurs de Saint-Vincent de Paul dut se résoudre à ordonner le retrait de la mère supérieure et des 3 sœurs restantes.
Les pensionnaires toujours présentes ont été réparties dans d’autres œuvres ayant bien voulu les accueillir.
Les sœurs de charité ont quitté définitivement Rochefort en 1981. Elles ont, entre la fin de l’orphelinat de la Marine (1964) et cette date, dirigé la crèche « Sainte-Marie ». Cet établissement privé, fondé en 1865 par l’épouse de l’amiral Laplace, à l’époque préfet maritime de Rochefort, fonctionne toujours au 4 rue Jean-Jaurès.
L’hospice orphelinat aura, lui, fonctionné à Rochefort pendant 270 ans. Pendant cette longue période, il a rempli une triple fonction : hôpital, hospice et école puisque les sœurs exerçaient, en plus de leur rôle d’infirmière et d’hospitalière, des fonctions d’enseignantes.
A sa fermeture définitive, l’ensemble de l’immeuble a été aménagé en Cercle Interarmées des Officiers de la garnison de Rochefort. Cet établissement a ensuite été fermé pour être transféré à la caserne Martrou, siège actuel du Cercle mixte de garnison. L’immeuble de l’ancien orphelinat est devenu la sous-préfecture de Rochefort.
Article rédigé par
Daniel Penven
Délégué de l'association Aux Marins
en Charente Maritime
Photographies :
Daniel Penven