18 Août 2011
LIEU SACRE ET INVIOLABLE
La sépulture marine est depuis toujours un lieu sacré dans l’esprit des gens de mer.
Sur le littoral français, l’héritage des Celtes avec ses traditions, légendes et croyances liées à l’âme des marins disparus a beaucoup contribué à ce que les sépultures marines bénéficient d’un fort sentiment de respect.
La sépulture marine est considérée comme un sanctuaire inviolable : les « profanateurs » sont menacés des pires malheurs !
Ainsi, Anatole Le Braz, écrivain, rappelle par un conte dans son ouvrage « La légende de la mort » que la malédiction poursuit et punit celui qui a profané la sépulture du marin mort en mer.
Cette tradition ancestrale du respect des sépultures marines semble être remise en cause de nos jours comme en témoignent deux événements récents relatés par la presse : le « crash » de l’avion Rio-Paris et l’initiative personnelle d’un plongeur sous marin sur l’épave du sous-marin Narval.
L’EPAVE DE L’AIRBUS A 330
L’identification de l’épave de l'Airbus A330 d'Air France, qui s'est abîmé en mer en juin 2009 entre Rio et Paris avec 228 personnes à bord, et les divergences entre les souhaits émis par des représentants de familles des victimes posent la question du respect des sépultures marines.
Car deux ans après cette tragédie, c’est incontestablement ainsi que doivent être considérés d’abord les restes de cet avion.
Bien sûr, il ne saurait être question de remettre en cause le principe des opérations techniques indispensables pour tenter d’expliquer complètement l’origine de ce drame et d’en éviter le renouvellement : la recherche et la remontée de boites noires ne pose aucune difficulté morale.
Bien sûr, on peut souhaiter pouvoir au mieux identifier les responsabilités, mais déjà, cet objectif doit aller de pair avec le respect des victimes.
Bien sûr, on doit permettre à chacun des proches de ces victimes de faire le plus complètement possible son deuil et d’honorer ses morts selon ses croyances, ses traditions, ses sentiments profonds.
Mais, lorsque ces objectifs sont contradictoires et que certains exigent le relevage de l’épave pour pouvoir enfin rendre un dernier hommage à ceux qui seront retrouvés, alors que d’autres demandent que la sépulture de leurs proches ne soit pas touchée, ne soit pas déplacée, ne soit pas profanée, ne faut-il pas d’abord écouter et respecter ces derniers ?
Les victimes n’étaient pas marins, ne voyageaient pas par mer, mais la mer les a pris, depuis deux ans. Elles sont dans ce vaste cimetière marin que sont les océans. Doit-on exiger de leurs familles de les voir déplacées, analysées, identifiées, probablement pour recommencer un deuil traumatisant ? C’est à ces familles d’en décider, mais tant que l’accord de toutes n’est pas obtenu quiconque peut-il se sentir autorisé à relever cette sépulture ?
Finalement 154 corps seront remontés à la surface. On peut imaginer le nouveau deuil traumatisant pour les familles, celles à qui on a rendu le corps forcément altéré et dégradé après 2 ans au fond des océans, celles à qui on n’a pu rendre le corps… Dans cette affaire la dignité et le respect des malheureuses victimes et de ceux qui les pleurent ont-ils été préservés ?
Dans ces malheureuses circonstances aucune décision hélas ne peut faire l’unanimité.
L’EPAVE DU SOUS-MARIN NARVAL
En ce qui concerne les marins péris en mer, des reportages récentes parus dans le Télégramme de Brest (1) et l'Ouest France (2) ont vivement interpellé les familles du sous-marin Narval. Rappelons que ce sous-marin, qui avait rejoint très tôt les Forces Navales Françaises Libres, a disparu avec ses 50 marins le 15 décembre 1940 à 40 nautiques des côtes tunisiennes après avoir sauté sur une mine.
Ce reportage concernait une initiative prise par un plongeur français pour, selon ses dires, retrouver l’épave du Narval, y apposer une stèle et effectuer un reportage photographique en vue d’éditer un livre.
Les conditions de la plongée paraissent surprenantes tant elles s’affranchissent de toute autorisation juridique (3) et morale. (4)
Le plongeur interviewé relate que « comme les autorisations sollicitées n’ont jamais été accordées il a plongé en toute illégalité »
Mais ceci n’est rien comparé à la suite de l’interview où le plongeur déclare « qu’il n’a retrouvé aucune trace des occupants. Les ossements ont été dispersés par les courants ».
Les familles ont été profondément choquées voire traumatisées par la lecture de cet article qui ravive leur souffrance au lieu de l’atténuer.
Doit-on tout tolérer au nom des actions de mémoire, notamment lorsque le mercantilisme n’est pas étranger à l’initiative ?
L’ABSENCE DU CORPS
En l’absence du corps le deuil des familles est beaucoup plus long, car leurs sentiments sont constamment partagés entre la douleur, l’angoisse et même l’espoir car inconsciemment elles se demandent si leur cher parent a réellement disparu.
Les gestes symboliques prennent alors beaucoup d'importance, comme le dépôt d'une gerbe de fleurs à la mer, la mise en place d'une stèle, le baptême d’un nom de lieu, la création d'un mémorial avec les noms et/ou les photos des disparus, un temps de recueillement organisé périodiquement pour soutenir les familles et leur procurer un moment d’apaisement.
Pour le Narval, une stèle comportant le nom des disparus a été érigée à Brest.
Des rues portent le nom du sous-marin Narval,
notamment à Saint Renan et à Brest.
Voir ces articles dans la revue de presse 2010 :
http://www.amedenosmarins.fr/10-album-1591447.htm
Le cénotaphe, partie intégrante du Mémorial national des marins morts pour la France situé à la pointe Saint Mathieu comporte sur ses murs les photographies des disparus ;
un temps de recueillement avec les familles des disparus a été organisé par l’association Aux Marins en 2010.(5)
Les noms des sous-mariniers du Narval figurent sur le mémorial érigé à Toulon à la mémoire des sous-mariniers disparus.
Photographie : Nicole Agéa
Quelles que soient leur nature, toutes ces marques de respect et d’hommage aux marins disparus, toutes ces formes de soutien aux familles, toutes ces actions de mémoire sont nécessaires et légitimes.
Elles doivent être favorisées et soutenues par les collectivités, les associations liées à la mémoire des disparus, qu’elles soient culturelles ou patriotiques.
Pierre LEAUSTIC
(1) Edition du 30 juin 2011
(2) Edition du 2 août 2011
(3) droit des épaves maritimes
(4) les familles n’ont pas été informées au préalable
(5) Voir article sur notre blog : 02 juin 2010 - hommage aux marins du sous-marin "Narval"