J’ai découvert le mur des disparus, en vacances chez ma grand-mère, Marjosé Guillou, à Kerpalud, juste en face du
château des Salles. Nous fréquentions surtout Paimpol, église le dimanche, marché le mardi, question de distance.
Cependant il n’était pas question de ne pas aller au pardon de « Ploubaz » ni à celui de Perros-Hamon. Nous montions au bourg par la vieille côte, plus
directe, mais empierrée, qui s’ouvrait à Kersa, laissant à droite le belle route qui se rapprochait de Kerroc’h.
A cette occasion, entre autres, la visite au cimetière était un rite, un passage sur la tombe familiale, en longeant ce mur qui m’impressionnait.
Les histoires chuchotées d’un passé encore récent, se mélangeaient quelque peu dans mon esprit à celles de la guerre dont les cicatrices n’étaient pas encore refermées.
Des bateaux qui partaient et qui ne
revenaient pas et dont le nom s’inscrivait sur ce mur interminable.
Des bateaux que ma grand mère allait voir au départ, de la tour de Kerroc’h, histoire d’inscrite dans sa rétine la dernière image d’une voile qui battait au vent comme le vol
d’une goéland. Des bateaux que l’on allait attendre, à la date du retour escompté, parfois dépassée, du côté de « Kroaz Pell », la croix éloignée, à qui
Loti a donné son nom de croix des Veuves, dans un lien tragique avec le mur …
Parfois, aussi, trop rarement, plus tôt que prévu, le cri d’une voisine montant de la rue « Marjosé, ils arrivent ! » surprenait la maisonnée dans son
travail quotidien, mais était-ce bien le bateau de son homme qui avait été aperçu ?
La première campagne islandaise a eu lieu en 1852. Très vite la flottille s’accroît. Le recrutement s’étend à partir de Paimpol vers les campagnes, vers les communes
environnantes, Ploubazlanec, la voisine, fournit un des plus gros contingents de marins-pêcheurs.
Dès 1854, des marins ne reviennent pas.
Comme d’autres ailleurs, les familles ont besoin d’un lieu propice au recueillement, que l’oubli n’engloutisse pas une deuxième fois le cher disparu, là des plaques de marbre dans une chapelle,
ailleurs les « broellou » comme à Ouessant ou un Cénotaphe comme à Saint Mathieu de Pen ar Bed, ici les
« mémoires » …
Les familles de Ploubazlanec prennent l’habitude d’apposer sur le mur du cimetière des croix, des couronnes, des panneaux de bois ou de marbre sur lesquels sont apposés ces mots
« à la mémoire de … », « en mémoire de … », c’est ainsi que ce nom de « mémoire » leur est donné.
Beaucoup de ces « mémoires » d’origine ont à leur tour disparu mais la municipalité a décidé de conserver au mur sa vocation et a effectué en dernier lieu, en 1992, une reconstitution
historique, moins de plaques individuelles, davantage de « mémoires » collectifs, rappellent que de 1852 à 1935, plus de 120 bateaux partis à la pêche à la morue furent perdus, plus de
2 000 pêcheurs ne revinrent pas.
La mémoire collective de ces marins est toutefois entretenue à Ploubazlanec grâce au musée créé en 1994.
Ces lignes sont aussi à la mémoire
de mon grand père,
Ernest de Launay,
né à Ploubazlanec en 1878, second officier de la "Sainte Anne", décédé en mer dans le Pertuis d’Antioche, un 23 décembre 1917
…
il affiche sur ses états de service 22 campagnes « à Islande ».
Texte et photographies de
Rémy Le Martret,
Vice-président de l'association "Aux Marins"