2 Décembre 2009
Deux amis, deux destins, deux souffrances...
Vendredi 27 novembre 2009, l’article intitulé
1er novembre 2009 - Hommage à huit marins de la D.B.F.M.
vient d’être publié sur le blog de l’association Aux Marins.
A Antony dans les Hauts de Seine, Guy Manguin en prend connaissance et sursaute, la photographie de Jean Pierre Lablanche, un de ses amis, perdu de vue depuis 14 ans, est là, sous ses yeux.
Jean Pierre, ancien de la DBFM, participait à la cérémonie d’hommage à ses camarades disparus de la DBFM.
Un appel à l’association et Guy découvre que son ami habite à moins de 40 km de chez lui à Cormeilles en parisis
Ils auraient pu se rencontrer au mémorial car Guy est lui aussi venu sur le site du mémorial en novembre, le 14 plus précisément, pour rendre hommage aux 39 marins du vapeur Loire, dont son père Bernard Manguin. 14 Novembre 2009 - 70ème anniversaire de la disparition des vapeurs "Loire" et "Rhuys"
Ils n’avaient jamais évoqué ensemble leurs drames respectifs et les souffrances liées à la disparition d’êtres chers morts pour la France.
Deux amis
Guy Manguin raconte :
«Entré en activité professionnelle en 1955 à la SACM, société qui plus tard, par le jeu des redistributions d'activités, deviendra Thomson, Thomson-Sintra, puis Thales. Jean Pierre a fait le même parcours que moi depuis 1957, lui était à l'usine d'Arcueil dans l'atelier de fabrication, moi à Paris, puis par la suite j'ai rejoint Arcueil où nous avons fait connaissance, cela vers 1975. Lui était à l'outillage, moi dans les laboratoires marine et, en parallèle j'étais détaché à l'école Centrale où je faisais de la recherche pour le compte de Thomson. Comme je devais faire la caractérisation des céramiques piézoélectriques (élément sensible des sonars) en milieu marin, je devais inventer toutes sortes de matériels, et pour cela je me tournais pour la réalisation vers l'atelier d'outillage où j'ai rencontré Jean Pierre. C'est dans cet atelier que se réalisaient mes inventions. Notre amitié date donc de cette époque. Par la suite, mon service est parti pour Sophia Antipolis, mais je suis resté à Arcueil en tant qu’ingénieur chargé des implantations de postes de travail, et responsable de l'amortissement des investissements, puis chef de service de l'archivage et reprographie. Jean Pierre de son coté était responsable du service contrôle mécanique, ce qui fait que nous étions très souvent en contact. Je suis parti en préretraite en Août 1995, lui en 1996, et depuis nous ne nous étions pas revus. Il a fait son service dans la marine comme fusilier marin en Algérie et moi dans la marine à Toulon comme pupille de la nation. Sinon nous nous serions retrouvés en Algérie comme tous nos amis de l'époque au centre de Siroco à la DBFM. Notre société, qui travaillait pour l'armement «marine» favorisait le recrutement des jeunes recrues pour la Marine.
Nous avons évoqué souvent cette période militaire, mais jamais sans approfondir, peut être par discrétion. De ce 19 juin 1959, je n'ai pas souvenir qu'il m'en ait parlé, ni de la mort de ses copains, qui comme lui, sont de vrais héros. Il a eu la chance d'échapper à ce massacre.
Quelle joie de pouvoir se retrouver après 14 ans. Lui comme moi avons les mêmes motivations pour résoudre les points d'obscurités de notre histoire personnelle.»
Jean Pierre Lablanche complète :
Je commence à travailler le 1er juillet 1957 dans l'atelier d'outillage de la SACM la même société que Guy.
J'ai devancé l'appel pour aller dans la Marine, direction Hourtin le 11 décembre 1958. Début 1959, séjour à Siroco où je suis certifié Fusilier comme beaucoup d'autres marins appelés. Après une brève période au poste d'Azzouna, je pars avec ma section à Aïn-Sefra où le 19 juin 1959, 8 copains de ma section meurent à mes côtés.
Le 6 Juillet 1959, je pars avec le Bataillon d'Intervention pour les grandes opérations (Jumelles, Etincelles, Pierres Précieuses) en Kabylie.
Après la dissolution du Bataillon je termine mon séjour en Afrique du Nord dans le poste de Méchour, situé sur la frontière, à 1 kilomètre du Maroc. Après mon retour en France en avril 1960, je termine ma vie militaire sur le Porte avions Lafayette en mars 1961.
Je retrouve mon emploi à la SACM à Arcueil et pendant 28 ans. j’exerce mon métier avec passion. Sans changer de lieux, comme l'indique Guy, je me retrouve employé successivement, d'Alcatel, CIT Alcatel, Sintra, Sintra Alcatel, Société Sintra, Thomson Sintra ASM, (qui par la suite deviendra Thalès) et j’ai gravi tous les échelons de la hiérarchie jusqu’à la responsabilité du service contrôle.
Notre activité était dirigée vers la défense nationale, principalement pour la Marine, secteur détection sous-marine embarquée et héliportée, (sonars). Nous équipions également les sous marins pour le guidage de torpilles et détection.
Je suis parti en préretraite en 1996.
DEUX DESTINS LIES A DES MARINS…
L’un, Guy Manguin, a perdu son père dans le torpillage du vapeur Loire le 13 novembre 1939, mais il ne l’a su qu’en 2006 car jusqu’à cette date ce navire de commerce était considéré comme «perdu corps et biens» en Méditerranée sans que l’on en connaisse les raisons. Un «événement de mer» comme on le dit pudiquement pour évoquer des drames maritimes.
L’autre, Jean Pierre Lablanche, était dans le groupe de fusiliers marins qui s’est retrouvé pris à revers par un groupe de rebelles le 19 juin 1959 à Aïn-Sefra. Il a vécu pendant 6 heures sous l’enfer du feu et de la mitraille à côté de ses camarades morts, blessés ou agonisants.
DEUX SOUFFRANCES
Guy Manguin s’est retrouvé à 2 ans confronté au vide de l’absence du père, aux difficultés matérielles et morales d’une maman esseulée, sans famille pour l’épauler, aux services sociaux, aux placements dans des familles et centres d’accueil et à cette souffrance psychologique de ne pas savoir ce qu’était devenu son père porté «disparu».
Et aujourd’hui qu’il connaît la vérité sur les circonstances d la disparition de son père, ce sont les moments difficiles de son enfance qui émergent.
Guy, grâce à un travail de recherche absolument phénoménal, a retrouvé les familles des marins du Loire, leur a expliqué les circonstances du drame et a permis que les photographies de ces 39 marins figurent au cénotaphe du Mémorial des marins morts pour la France.
Jean Pierre Lablanche garde en lui au fond de ses pensées et de son cœur le souvenir de ses camarades morts à ses côtés. Il les voit encore, il se remémore leurs souffrances et se sent coupable d’être survivant. Il n’a eu de cesse que d’honorer leur mémoire et retrouver leurs familles.
Avec André Enthime,
autre compagnon d’armes en cette tragique journée du 19 juin 1959, ils ont tenu à organiser une cérémonie d’hommage le 1er novembre au Mémorial des marins pour la France.
Le père de Guy Manguin
et les 8 marins d’Aïn-Sefra
ont maintenant leur photographie au Cénotaphe du Mémorial des marins morts pour la France. Le fils et l’ami ont fait leur devoir.
Puissent désormais leurs souffrances et leur peine être apaisées par ce geste d’amour et d’amitié.
Article rédigé par Pierre Léaustic avec le concours et l'autorisation de Guy Manguin et de Jean Pierre Lablanche
Photographies : Gérard Tanguy et groupe communication de l'association "Aux Marins".
La photographie du vapeur Loire est issue de la collection Guy Manguin.