8 Mars 2014
L' Imagier de la mer
« Il est homme qui peint des bateaux. Il ne peint pas des bateaux pour les gens qui aiment la peinture, mais il est un peintre pour gens qui aiment les bateaux ».
C'est ainsi que Jean Cocteau présente, en janvier 1925, l'unique exposition parisienne de Paul-Emile Pajot. Mais qui est-il vraiment ? Un marin pêcheur, un peintre ou encore un chansonnier peut être, les trois en même temps ?
L'ENFANCE
Paul-Emile Pajot, voit le jour à La Chaume (Vendée) le 17 octobre 1873. Il est le fils aîné de Paul Pajot, 33 ans, marin-pêcheur, et de Menaïde Pontoizeau, 22 ans, couturière. Il aura également trois sœurs, Rosalina, Menaïde et Zelica et un frère, Daniel, né quelques mois après le décès du père.
Pour l'état civil il se prénomme Léoni, mais comme le voulait la coutume "chaumaise" on trouve plus commode le lui donner le prénom de son père "Paul" et pour éviter les confusions on ajoute "Emile".
La famille mène la vie modeste des marins pêcheurs dans une France qui se relève péniblement de la guerre de 1870. Ils vivent à six dans une seule pièce et quand le temps est trop mauvais pour pêcher son père gagne quelques sous en taillant des aiguilles en bois utilisées pour le ravaudage des filets de pêche. Pendant ce temps sa mère coud et va "en journée".
La plus grande distraction du petit Paul-Emile est de rendre visite, en carriole, à ses grands parents. Ce bonheur simple est, malheureusement, brisé le 27 janvier 1881. Ce jour-là, une terrible tempête endeuille le port des Sables d'Olonne : onze barques disparues, cinquante-deux victimes, plus de cent orphelins. Le père de Paul-Emile Pajot fait partie des victimes, il disparaît en mer à bord de la chaloupe "Jeune Ernestine". Lire le récit du naufrage :
LE MARIN
A onze ans, pour subvenir aux besoins de sa famille, le jeune garçon quitte à regret l'école et embarque sur le canot sardinier Le "Beauséjour". Cependant, après un premier été de pêche à la sardine, son instituteur le reprend en main et lui donne des cours le soir. Bon élève, il était le premier de la petite classe, à sept ans, il obtient en 1885, grâce à ces cours du soir, son certificat d'études primaires. C'est très fier de son prix, un livre relié de Paul et Virginie, qu'il retourne à bord de son canot.
Puis, à vingt ans, en 1893, vient le temps du service militaire. Il est incorporé à Rochefort mais six mois après, en raison d'une vue défaillante, il est réformé. C'est le retour à La Chaume et un nouvel embarquement à la pêche.
Cette période militaire lui a été profitable car Paul-Emile y perfectionne son dessin et réalise son premier tableau le naufrage du "Vinh-long".
LE PEINTRE
Le 25 novembre 1896, il convole en justes noces avec Dalie Merlen, une voisine et amie d'enfance, sa sœur Rosalie se mariant le lendemain la fête dura huit jours et, comme se plaisait à dire Paul-Emile, le neuvième jour "voilà que c'était la fête du beau-père".
Un an après naît leur premier fils, Paul-André. Le couple aura six autres enfants : Théodore, Gilbert, Vercingétorix, Rosalva, Salvador, Garibaldi.
A l'aube du XXème siècle, en février 1900, il entreprend la rédaction de son Journal intitulé "Mes Aventures". Cinq gros registres, d'environ 500 pages chacun et illustrés de chaloupes, barques et dundees sur lesquels il fut embarqué, de goélettes rencontrées sur les routes maritimes, de drames maritimes et de portraits des membres de sa famille.
La guerre de 1914-1918 prendra une place considérable dans ce Journal. Paul-Emile Pajot, dans le, 1ér volume, fait remonter son histoire à sa naissance. On a comptabilisé plus de 1500 gouaches, dessins à la plume ou au crayon. Dans le dernier volume, l'emplacement du dessin est en réserve, avec la découpe d'images tirées dans la presse populaire…
En 1902, c'est la naissance de leur troisième fils, Gilbert Léoni. C'est lui qui, tout en étant marin pêcheur, suivra les traces de son père et continuera son œuvre jusqu'à sa disparition en 1956.
Pour nourrir sa famille, de plus en plus nombreuse avec la naissance d'un autre garçon et d'une fille, Paul-Emile Pajot s'embarquera sur onze bateaux, sardiniers, chalutiers, thoniers différents. Ses troubles oculaires se sont aggravés suite à des incidents de bord, particulièrement durant l'hiver 1906-1907.
En 1906, il achète son propre canot "Anna-Maria" sur lequel il s'adonne à la petite pêche côtière sans renoncer à embarquer comme matelot d'emprunt pour des marées exceptionnelles.
L'année 1911 est un tournant dans la vie du peintre illustrateur. En effet, Paul-Emile Pajot commence à utiliser la gouache dans ses « cadres » qu'il appelle ses « tableaux ».
Lorsqu'éclate la 1ère guerre mondiale, Paul-Emile vient tout juste de faire reconnaître son invalidité et ses droits à la retraite. Malgré cet handicap il tente, de se faire mobiliser à Rochefort mais sans succès.
Déçu, il s'attelle à la création du volume 2 de son Journal, qu'il intitule "Communiqués et anecdotes de Guerre". Jusqu'à la fin du conflit, en 1918, il relate, dans 3 autres volumes, les faits de guerre, extraits parfois des quotidiens et revues.
LA CONSÉCRATION
Le 22 janvier 1925, c'est le vernissage de sa première exposition parisienne, avec 17 œuvres, à la galerie Pierre, rue Bonaparte. Le catalogue est préfacé par Jean Cocteau. Paul-Emile Pajot est resté à La Chaume. Et il connaît un début de consécration. Les retombées de cette exposition sont les commandes qui affluent de Pierre Loeb, le galeriste, et d'autres amateurs de toute la France. Il se consacra davantage à son travail pictural.
Au cours de l'été, le peintre Albert Marquet, invité aux Sables d'Olonne, par son ami, Jean Launois et accompagné du critique d'art, Charles Fegdal, visitent la maison de Paul-Emile et remarquent les "cadres" et le journal du peintre. Marquet lui commande alors plusieurs tableaux et s'engage à les vendre à Paris.
POÈTE, CHANSONNIER, MUSICIEN
Paul-Emile Pajot était aussi le poète, le chansonnier, l'écrivain public de "LaChaume". Avait-on besoin d'une histoire ou un récit pour un banquet, une réunion patriotique ou un recueil de monologues et de chansons ? Paul-Emile les composait, à la demande.
Ses écrits étaient le plus souvent inspirés d'extraits de journaux ou de revues qu'il recopiait soigneusement pour les entremêler au gré de son inspiration. Très doué dans cet exercice il est difficile de discerner ce qui lui revient en propre de ce qu'il a emprunté… Mais sa verve est toujours dramatique car c'est dans la narration douloureuse qu'il excelle.
Extrait de son poème "L'Arme du civil" :
" C'était de bon matin. Sur la grève déserte,
Seul, je me dirigeais, tout pensif… à pas lent…
La mer était mauvaise, et dessus l'onde verte
S'élevaient en criant mouettes et goëlands.
Le vent soufflait du large, par moments en furie,
Et je plaignais le sort des pauvres matelots
Qui affrontent la mer pour y gagner leur vie
Et qui, par trop souvent, y trouvent leur tombeau….
… Morts en martyrs un jour, au pays de Vendée,
Pour ces infortunés, très souvent nous prierons,
Nous rappelant, hélas leur fin prématurée.
Ils dorment maintenant sous la terre de France…
Le vieux peuple Chaumois fleurira leurs cercueils;
Pour leurs familles en pleurs, prions la providence;
Que la perfide mer n'y sème plus de deuils."
Paul-Emile n'est pas que mélancolique, il écrit des chansons et des romances d'une verve plus souriante, qu'il aime entonner et reprendre par ses amis les jours de fêtes et de liesse.
Car il avait aussi un beau brin de voix. Tout jeune, déjà, son père le faisait chanter pour la famille et pour ses camarades. Il adorait chanter des airs d'opéra ou d'opéra- comique. Un jour le chef de musique du cuirassé Hoche, l'ayant entendu, lors d'une escale aux Sables d'Olonne, lui proposa de le recommander à un professeur de chant parisien. Ayant décliné la proposition il le regretta quelques années plus tard.
Une autre fois, le chef d'une troupe de théâtre, à qui il avait enlevé les spectateurs en chantant dans un bal près de la salle de théâtre, lui assura qu'il avait une jolie voix de "ténor léger" et souhaité qu'il entre dans sa troupe pour préparer son entrée au conservatoire. Là encore il préféra rester à La Chaume s'occuper des siens.
Très doué dans tous les domaines, Paul-Emile s'improvise "accordéoniste-chanteur" et anime, tous les dimanches, le bal local. Il compensait ainsi largement le manque à gagner de la pêche.
Avec tous ses dons et sa verve, il était très prisé pour animer les noces où il assurait, avec ses chansons, ses histoires et ses blagues, l'animation du début à la fin et les noces duraient, en général, deux jours.
UNE RECONNAISSANCE TROP TARDIVE
Le 19 septembre 1929, alors qu'il commence à être reconnu dans le monde de l'art, Paul-Emile Pajot décède brutalement. La veille, alors qu'il a contracté une affection pulmonaire, il veut reprendre son souffle en s'aérant et se fracture le crâne dans une chute sur les marches de sa maison.
THADEE BASIOREK administrateur de l'association Aux marins
* Cliquez sur les images pour les agrandire
Sources :
Publication "Mes aventures - Le Journal de Paul-Emile Pajot" Editer par l'Association 303 – Nantes(85)
Livre "Paul-Emile Pajot – Marin pêcheur" Collection Univers des Homme
Le musée de l'Abbaye Sainte Croix des Sables d'Olonne (85)