19 Juillet 2013
Le 6 septembre 2013 à Saint Malo, l'association "Aux marins" et l’association "A.P.P.E.L Ar Zénith" ont signé une charte de jumelage.
Le Dundee Breton "Ar Zénith" a été le premier bâtiment civil à rallier l’Angleterre suite à l’appel du général de Gaulle.
Il a fait l’objet d’une restauration remarquable. Il est aujourd'hui classé monument historique.
(Site : www.arzenith.com)
Jacques Le Gall, un des acteurs de cette épopée, nous raconte cet épisode historique de la seconde guerre mondiale.
À l'extrémité du Finistère, la presqu'ile du Cap Sizun, avec à son extrémité l'éperon rocheux de la Pointe du Raz et, en face, au large, visible à 6 kilomètres, par-delà le redoutable Raz de Sein, un ilot rocheux au ras des flots (8 mètres au-dessus du niveau de la mer), l'Île de Sein, rocher sur lequel vivaient alors, agglutinés, plus de 1 200 iliens, fort démunis, avec comme seule ressource la pêche. Ils se tenaient vraiment coupés du monde : pratiquement pas de téléphone, ni d’électricité, un seul poste de radio à galène dans le très modeste hôtel de l'île, "l'Océan". Et pour ravitailler ces 1 200 iliens, le courrier de Sein, un très beau bateau, tout neuf, un solide dundee de 20 mètres, capable de transporter jusqu'à 100 personnes et 40 tonnes de marchandises. Il venait, juste au début de la guerre, de remplacer un vieux «Zénith» à bout de souffle, car notre "Ar Zénith" est le troisième de la famille des "Ar Zénith"... Vieille tradition de l'Île de Sein.
Il avait comme équipage :
le patron : Jean-Marie Menou, marin expérimenté de 54 ans ;
le mécanicien : Clet-Joseph Guilcher, 32 ans ;
2 jeunes matelots : les frères Guéguen, Michel, 18 ans
et Gabriel 16 ans ½.
À l'autre bout du Cap Sizun se trouve le port d'Audierne, base de ravitaillement de l'île, petit port très actif qui comptait plus de 150 solides sloops de pêche, de nombreuses pinasses sardinières et jusqu’à 12 usines de conserverie.
Je suis natif d'Audierne et j'y habitais. Nous étions quatre frères, moi, l’aîné, 19 ans, un cadet de 17 ans, et deux bien plus jeunes de 12 et 5 ans. Nos parents nous avaient élevés, mon cadet et moi, dans une solide tradition catholique et patriotique. Notre père, blessé de 14/18, ayant su notamment nous inculquer le sens du devoir envers la patrie en disant "Notre Patrie". Nous avons eu le chagrin de le perdre peu avant la guerre de 39/45.
Passionné très jeune par le scoutisme, j'étais devenu chef-scout, activité qui m'avait marqué et qui allait contribuer pour beaucoup à ma formation d'homme responsable. Par ailleurs, grandi dans le milieu maritime, j'avais, bien sûr, attrapé le virus de la mer, souhaitant devenir officier de marine. Je préparais le concours de Navale à Saint-Brieuc, à l'école Saint-Charles qui faisait, alors, partie des meilleures prépas de France. J’ajoute que comme le programme était le même et que j'étais apte physiquement, je préparais aussi le concours de l'école de l'Air. J'étais tout naturellement un bon patriote, aspirant à servir mon pays et tout à fait prêt à me battre pour lui.
Beaucoup de jeunes Français et encore plus en Bretagne, partageaient les mêmes sentiments patriotiques. Nous étions fiers de la France, encore auréolée de sa victoire de 1918. Nous étions conscients de sa place dans le monde et de sa puissance. Elle avait, nous en étions persuadés, la première armée du monde, une marine moderne, la troisième du monde, et un vaste empire, énorme réservoir d'hommes et de richesse. La France avait en outre comme allié l'Angleterre qui disposait, elle, de la plus puissante marine du monde et d'un empire colonial bien plus immense que le nôtre. Cette alliance était solide car elle reposait sur un traité signé entre nos deux nations qui stipulait que, pour la guerre "toutes nos ressources et forces devaient être mises en commun, que toutes les décisions concernant la guerre devaient également être prises en commun. Chacun des signataires s’interdisait formellement de prendre unilatéralement tout contact, et, a fortiori, des décisions séparées avec l'ennemi". Tel était le traité.
Nous étions donc tout à la fois fiers et confiants. Cette guerre voulue par les Allemands, nous allions la gagner.
Mais, hélas, début juin 1940, la situation s'aggrava, l'offensive allemande prenant brusquement des proportions préoccupantes.
À la mi-juin, je me trouve à Saint-Brieuc où, comme chaque année, la marine nationale organise les épreuves écrites du concours de Navale. Nous étions tous à notre concours quand brusquement l'officier responsable, tout pâle, nous avise que le concours est interrompu... définitivement. L'avance des Allemands est foudroyante et il nous congédie sur le champ en nous souhaitant "bon courage". Le choc est terrible. Certains pleurent.
Je décide de rallier aussitôt Audierne. Le 16 juin, dans le train, posément, je fais le point. La situation est très grave, mais le combat va certainement continuer car nous disposons encore d'atouts considérables : marine intacte, importantes réserves en armements, matériels et même en troupes. Notre puissante armée d'Afrique du Nord pourrait participer au combat. De plus, notre alliée l'Angleterre ne capitulera jamais. Il faut coûte que coûte essayer de gagner par la mer, soit le sud de la France ou l'Afrique du Nord. Et, si cela s'avérait impossible, il faudrait essayer l'Angleterre. Car je veux pouvoir prendre part à ce combat.
Ma décision de partir est prise.
Le 17 juin au matin, je parviens, enfin, à Audierne, et informe ma pauvre mère de ma décision. Elle s'y attendait. Elle m'approuve et cela d'autant plus qu'elle vient d'entendre à la radio que, dans la nuit, le Président du Conseil avait démissionné et avait été remplacé par le Maréchal Pétain, le héros de Verdun. Cela me fait très chaud au cœur : enfin un vrai chef et un militaire pour remplacer ces politiques minables et coupables. Ça va changer. On va se reprendre. Cela ne fait que conforter ma décision de partir.
Aussitôt, aidé par mon frère, j'entreprends d'informer de ma décision tous mes camarades étudiants de retour à Audierne. À eux de réfléchir. Et aussitôt, persuadé que les Allemands vont tenter d’isoler la Bretagne, je commence à chercher un bateau... sans résultat apparent. Les gens sont dépassés. En rentrant à midi : catastrophe : à la radio, nous entendons, atterrés, la voix chevrotante de Maréchal Pétain appelant les Français à cesser le combat et annonçant qu'il allait se mettre en rapport avec l'ennemi et il eut l'audace d'ajouter "dans l'honneur" pour demander un armistice à ce monstre nazi sans foi, ni loi, ni parole et qui avait juré d'anéantir la France !
C'est un choc : je me sens rempli successivement d'incompréhension, d'écœurement et de colère, considérant que ce vieillard, que jusque-là j'admirais, venait de lâcher la France et en même temps de trahir notre allié britannique. Mais cela ne change pas une seconde ma décision de partir d'autant que je suis certain que nos grands chefs militaires n'accepteraient pas cette lâcheté. Effectivement, très nombreux furent ceux qui tentèrent, certains farouchement, de s'y opposer, l'amiral Darlan le premier, puis le général Noguès, commandant en Afrique du Nord, le général Matelhauser, commandant au Moyen-Orient, les amiraux Godfroy, commandant la flotte d’Alexandrie, Decoux, commandant en Indochine, Carpentier, commandant la marine du Levant, sans compter les gouverneurs de l’A.O.F, de l’A.E.F., de Tunisie, et même l’amiral Gensoul, commandant la Marine Afrique du Nord .
Mais hélas, l’un après l’autre, sous prétexte du mot "discipline", ils allaient tous s’incliner lamentablement. Un seul a su maintenir sa volonté de combattre en plaçant l’honneur de la France avant tout. Vous le connaissez : ce fut le général de Gaulle.
Mais je reviens au 17 juin après-midi. Je continue donc ma recherche à Audierne où je connais beaucoup de patrons-pêcheurs ; mais, chez tous, les mêmes hésitations, le même fatalisme. Je m'arrête tard le soir sans résultats. Les nouvelles sont mauvaises. Les Allemands sont à Rennes et à Vannes. Comme prévu, la Bretagne est coupée et la seule vraie issue reste bien la mer. Et, c'est alors que mon frère cadet de 17 ans me fait part de sa décision de partir avec moi. J’essaie de refuser le trouvant trop jeune et lui disant que son devoir est de rester près de notre mère. Mais, rien y fait : il insiste, et c'est finalement notre mère qui, courageusement, me demande de le prendre.
Le 18 juin, nos démarches n'aboutissent à rien sur Audierne. Nous nous rendons alors au port voisin de Douarnenez; et là non plus, aucun départ en vue. Sans nous décourager nous poussons jusqu'au Guilvinec, puis Penmarch, Saint Guénolé. Et là aussi sans plus de succès ! Nous regagnons plus tard Audierne, désabusés et inquiets. Notre mère nous réconforte, car elle vient d'entendre à la radio, mais très mal, un général Français dont elle n'avait pas compris le nom, qui appelait à venir le rejoindre à Londres pour continuer le combat. C'est une bonne nouvelle et elle est déterminante : c'est vers l'Angleterre qu'il faut maintenant se diriger et pas ailleurs...en espérant trouver un bateau.
Le 19 juin, le temps presse. Fébrilement, au petit matin, je suis sur les quais d'Audierne, reprenant mes recherches. Le spectacle est affligeant. Arrivés là au cours de la nuit, en bout de course, quelques militaires esseulés, dépenaillés, certains avinés, sont là comme perdus. Mais rien dans le port ne bouge. Tout le monde attend sans réagir.
Vers 10 heures, une nouvelle se répand : les avant-gardes allemands atteignent Brest, et d'autres approchent de Quimper. La situation devient vraiment angoissante. Quand brusquement, vers 11 heures, pénètre, majestueux, dans le port d’Audierne où rien ne bouge, l'"Ar Zénith", le nouveau courrier de l'Île de Sein. Ma décision est immédiate : le bateau à prendre est celui-là. Il nous mènera jusqu'à l'île de Sein et là-bas on se débrouillera coûte que coûte. Aussitôt le bateau accosté, je questionne le patron, Jean-Marie Menou que je connais bien : "Nous serons une dizaine" –"D'accord, mais appareillage impératif dans une heure trente" : ce qui nous laisse peu de temps pour contacter nos camarades déjà prévenus (8 en tout), pour prendre quelques affaires, avaler quelque nourriture, et faire des adieux bien angoissants.
Un peu avant l'heure, mon frère et moi arrivons à "Ar Zénith" ; nos camarades prévenus sont là et nous attendent. Aucune défaillance ! Cela me fait chaud au cœur. Et dire qu'il y a parmi eux deux fils uniques dont l'un n'a que sa mère. Sur le bateau, je compte déjà une bonne quinzaine d'îliens rentrant à l'île, ainsi qu'à peu près autant de militaires disparates qu'un aspirant aviateur essaie de discipliner. Je reconnais aussi quelques jeunes des environs d'Audierne qui comme nous cherchaient l'occasion de partir. Sur le quai, beaucoup de monde entoure nos parents et amis venus nous dire un dernier adieu. Beaucoup d'émotion. Notre pauvre mère est là soutenue par son père, notre grand-père terriblement pâle : il doit sentir qu'il ne reverra plus ses petits-fils (il mourra effectivement 10 jours après, victime de son émotion). Je ne l'apprendrai que 1 an et demi après par la première lettre reçue de ma mère. En regardant tous ces gens, je me suis fait, pour la première fois, la réflexion que d'Audierne, nous ne sommes là que quelques jeunes volontaires décidés à partir et à prendre cet énorme risque, et il y a là devant nous de nombreux adultes, de solides marins. Qu’attendent-ils tous pour se joindre à nous ?
Ils n'osent pas !!! Certains que je regarde baissent les yeux ! Ça me fait quelque chose…
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