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Le blog  de l'association Aux Marins

L'HEROÏQUE EPOPEE DU DUNDEE BRETON AR ZENITH - 2

 

SUITE...

 

 

… L'heure est arrivée. Menou s'apprête à faire larguer les amarres quand arrive à fond de train un camion militaire lourdement chargé et transportant une section de 7 ou 8 chasseurs alpins avec à sa tête un grand lieutenant plein d'allant et d'autorité (qui, curieusement plus tard, allait marquer profondément beaucoup d'entre nous, par ses remarquables qualités d'homme et de chef).

 

En tout cas là, sans formalité il dit à Menou qu'il embarque lui ses hommes et ses armes. Menou répond : "Bon, mais faites vite". Nous aidons au transport des lourdes mitrailleuses, des fusils mitrailleurs et d'armes diverses.

 

Quand, sur ces entrefaites, arrive précipitamment un gendarme qui ordonne à tous les civils, c'est-à-dire à nous, de débarquer : "Ordre de la Préfecture". Incroyable!! Donc les Allemands doivent déjà y être ! Nous refusons catégoriquement. Le ton monte jusqu’à ce que le lieutenant intervienne et sans appel, enjoignant à ce gendarme de laisser ces jeunes tranquilles : "Ils vont partir avec nous ou sinon c'est vous qu’on embarque !" Puis très autoritaire, il lui donne l'ordre formel de faire détruire le camion et son chargement qui ne doivent en aucun cas tomber entre les mains de l'ennemi. Et il relève son identité. Le gendarme prend les clefs du camion, salue et part tout penaud ! Le lieutenant Dupont, c'est son nom, vient d'entrer dans notre estime.

 

Sur ce, le patron Menou ordonne l'appareillage : "Nous allons nous échouer". Il est environ 13 heures. Ultimes gestes d'adieu. L' "Ar Zénith" descend le long chenal d'Audierne et, curieusement, il stoppe et mouille devant le phare. Menou attend certains Îliens retardataires. Nous mettons à l'eau l'annexe qui ira les prendre.

 

Ensuite, un moment de calme, je réunis tous les jeunes sur l'avant. On se compte. Nous sommes 21. Dès cet instant, nous allons former un groupe très soudé.

 

Le Lieutenant Dupont fait alors installer 2 lourdes mitrailleuses sur trépied, une sur l'avant, et une sur l'arrière, ainsi que plusieurs fusils mitrailleurs. Cela impressionne curieusement beaucoup, et très agréablement.

 

Je tiens ensuite à remercier le Lieutenant Dupont, au nom de tous, pour son intervention en notre faveur au moment du départ. Il nous félicite pour ce que nous tentons de faire.

 

L'annexe rentre 1 heure après, lourdement chargée, transportant les îliens attendus et un légionnaire à képi blanc avec sa moto qu'il avait exigé d'embarquer !

 

Nous appareillons vers 14 heures 30. Nous longeons toute la côte du Cap Sizun que je connais bien, et que je regarde avidement. À un moment je remarque Menou et le lieutenant Dupont en grande conversation. Je m'approche assez pour entendre Menou lui dire "Bon, c'est d'accord. Je vous mènerai jusqu'à Ouessant". Excellente nouvelle. Je préviens mes camarades. Ensuite j'entreprends Menou lui disant que j'ai entendu, et qu'il faut nous emmener nous aussi jusqu'à Ouessant. Il est d'accord si le lieutenant est d'accord. Le lieutenant ne s'oppose pas. Marché conclu.

 

Nous arrivons à l'île vers 17 heures 30. Les Îliens sont là nombreux, étonnés de voir l' « Ar Zénith » si chargé. Ils ne réalisent pas la gravité de la situation. Menou libère tout le monde et fixe l'appareillage pour Ouessant à 20 heures.

 

Mon frère et moi allons rendre visite, entre autres, à M. et Mme Salaün, amis de nos parents. Ils sont modestement parlant des notables de l'île. Et là, avec eux, nous allons sans préavis voir se manifester les Allemands. En effet, vers 18 heures, un cargo se présente, descendant le raz, un avion arrive, le survole... et brusquement lui pique dessus et lâche deux bombes, qui font des gerbes énormes. Le bateau disparait pratiquement de notre vue. Les malheureux ! Mais les gerbes retombent, et le bateau continue apparemment intact. Quelle chance ! Très émotionnant quand même ! Peu après survient un avion qui survole l’île à basse altitude créant un début de panique. En fait c'est un petit avion allemand d'observation, qui lentement et très bas tourne et retourne. Nous voyons bien le pilote qui nous observe. Et puis il part comme il est venu, cap sur la pointe du Raz. Cette double manifestation sans la moindre opposition est dérangeante !

 

Avant 20 heures, nous rallions Ar Zénith pour le départ prévu. Le maire de l'Île, Louis Guilcher est là qui nous interdit d'embarquer. Il avait lui aussi reçu des ordres formels des autorités interdisant tout départ de bateau. Le lieutenant Dupont s'était fâché et avait dit que même par la force il partirait car il devait gagner Ouessant pour contacter des autorités et prendre des ordres. Finalement, l' "Ar Zénith" avait reçu l'autorisation de transporter les militaires seuls. Nous essayons de faire du forcing, mais rien à faire, car Menou veut respecter les ordres reçus et le lieutenant Dupont ne nous aide pas. Rageurs, nous assistons au départ d’"Ar Zénith". Mais pas question de baisser les bras. Car, comme apparemment d'Ouessant, il y a des départs, il faut coûte que coûte trouver un bateau pour y aller. Comment faire ? Ici il faut bien comprendre que l'île de Sein fonctionne d'une façon très particulière: il y a deux autorités, l’autorité civile, le maire, et l'autorité religieuse, le recteur. Et l'autorité religieuse est de beaucoup la plus forte. Habitué de l'île, je le savais et notre ami, M. Salaün, bien sûr  encore mieux. Nous nous rendons donc au presbytère. J'explique au recteur, qui ne le réalisait pas bien, toute la gravité de la situation, et notre volonté d'aller en Angleterre pour rejoindre les troupes Françaises qui s'y trouvent et nous engager. Il réfléchit puis dit à M. Salaün d'aller chercher Jean-Marie le patron de "La Velléda". "La Velléda" est une puissante vedette qui assure le ravitaillement et la relève des grands phares de Haute Mer (Armen, La Vieille, Tévennec, Kéréon). Jean-Marie Porsmoguer, solide marin, arrive peu après, respectueux. Le recteur lui déclare pratiquement ceci : "Jean-Marie, tu sais qu'il y là, une équipe de jeunes arrivés avec Ar Zénith" – "Oui, je sais" – "La situation est grave. Ces jeunes veulent faire leur devoir. Ils veulent gagner l'Angleterre pour s'engager. On doit les aider. Il faut que tu les mènes jusqu'à Ouessant "- "Mais, Monsieur le recteur, vous savez bien que je n'ai pas le droit" – "Jean-Marie, il n'est pas question pour toi de droit, mais de devoir. Tu dois les transporter cette nuit jusqu'à Ouessant. Je te le demande" - Courte hésitation – "Bon. Ils n'ont qu’à se trouver à la tombée de la nuit, à 22 heures à la cale du canot de sauvetage".  C'était gagné. Merci, Monsieur le recteur !

 

Et bien sûr, comme indiqué, tous les 21, nous sommes là sur la cale pour voir arriver "La Velléda" et heureux, nous embarquons. Et, là, tenez, vous bien, ceci confirme bien ce que je vous ai dit : Monsieur le Maire, qui deux heures auparavant, nous avait interdit le départ sur l' "Ar Zénith" arrive sur la cale, non pas pour nous interdire à nouveau de partir mais pour nous dire "Au revoir et bonne chance". Sidérant ! Mais la mer est basse, et le bas de cale recouvert de varech mouillé. En tendant la main pour saluer Jean-Marie, il glisse et tombe à l'eau. Jean-Marie et son matelot le remettent sur pied tout trempé. Nous sommes, bien sûr, attristés pour lui sans avoir une certaine satisfaction revancharde.

 

Le trajet jusqu'à Ouessant est sans histoire : mer calme, mais le ciel vers l'est devient de plus en plus rouge. Il y a des incendies sur Brest. Est-ce un bombardement ? En fait, c'est la marine qui détruit ses réserves de carburant. Nous abordons Ouessant par l'ouest et entrons dans la vaste baie de Lampaul qui est pleine de bateaux de toutes sortes ; peu ou pas éclairés, une vraie pagaille ! Et, il va falloir en trouver un là-dedans qui accepte de nous prendre tous les 21 et qui aille vers l'Angleterre !

 

Jean-Marie essaye le plus gros qui se présente, un contre-torpilleur, le "Mistral", en me disant "Là-dessus, 21, ça ne se verra pas", et il tente l'accostage par la coupée arrière. Mais, nous voyons se dresser brusquement un énergumène mal embouché qui devait dormir à plat pont et qui, en nous traitant de tout, nous intime l’ordre de nous écarter. Je remarque, alors, tenez-vous bien, que c'était un général ! Je me suis fait bêtement cette réflexion : "Un général qui dort à plat pont et qui commande sur un bateau de guerre : ça ne va pas, on est vraiment mal embarqués !!".

 

Pénétrant plus avant dans la baie, Jean-Marie porte son choix sur un petit patrouilleur portant un nom d'oiseau, je crois l' "Épervier", et nous tentons l'accostage. Un veilleur appelle. Un lieutenant de vaisseau se présente. C'est le commandant qui, poliment, nous dit qu'il ne peut pas nous prendre parce que : 1) il n'a pas le droit et 2) il n'a pas d'ordre d'appareillage. Il nous conseille aimablement d'essayer un gros chalutier plus loin, à peine visible à 300/400 mètres. Il est armé par la marine Nationale mais a des civils à bord : "Essayez".

 

3ème tentative ! Cette fois, il ne faut pas se manquer. D'abord, s'assurer que ce bateau va bien en Angleterre et ensuite qu'on puisse y accéder tous les 21. Ce n’est pas évident ! Je tire des plans avec Jean-Marie. On s'approche lentement :

 

Le bateau est calme et peu éclairé ;

 

C'est bien un gros chalutier type Lorientais de 70 m que je connais ;

 

Il faudrait l'accoster par l'arrière où il n'est pas éclairé ;

 

J'irai me placer à l'avant de "La Villeda" et Jean-Marie l'accostera tout doucement feux éteints ;

 

J'essaierai alors de connaître la destination prévue. Si par bonheur, c'est vers le nord, je fais un signe, Jean-Marie accoste franchement et nous sautons tous à bord en force, comme à l’abordage ;

 

Et, dès le dernier embarqué, Jean-Marie s'écarte. Ils n'oseront pas nous jeter à l'eau.

 

Le plan se déroule comme prévu. Tous mes camarades sont prêts. Nous approchons. Je découvre le  nom du bateau "La Monique Andrée" de Lorient. Des civils dorment sur le pont à l'arrière. Deux se réveillent et me font signent de ne pas accoster. "Non ! On part, nous aussi, mais on ne veut pas partir seuls". – "Vous allez où ? " – "Nous, on va en Angleterre". – "Vous êtes sûrs que ce n'est pas vers le sud ?" – "Absolument". – "Le commandant nous a prévenu. On appareille à l'aube pour Plymouth".

 

Aussitôt, je fais signe à Jean-Marie. Il accoste franchement et nous sautons tous sur "La Monique Andrée" comme à l'exercice, mais en déclenchant beaucoup de cris, de jurons et quelques horions.

 

Aussitôt, "La Velléda" s’écarte et Jean-Marie, mission accomplie, nous fait signe et s’enfonce dans la nuit.

 

Le commandant alerté par tout ce bruit arrive furieux et nous traite et nous menace de tout. C'est un vieil officier des équipages d'au moins 40 ans et d'évidence autoritaire qui hurle "Vous n'avez pas le droit. Vous allez voir". Et finalement, il est parti en maugréant et nous n'avons rien vu.

 

Nous étions heureux ; c'était notre 3e essai, réussi en moins de 24 heures. Restait maintenant à se faire une place dans ce bateau déjà totalement envahi. Heureusement que nous n'étions pas d'un port de pêche pour rien et nous avons vite repéré le vaste toit de la cabine, encombré de cordages. En se faisant la courte échelle, nous l’avons escaladé et nous nous sommes fait une place fort agréable.

 

Pendant ce temps, avec sa "La Velléda", Jean-Marie tournait dans la baie de Lampaul à la recherche d'"Ar Zénith" qu'il finit enfin par retrouver. Il l'accoste. Le bateau est rempli de militaires, 70 ou 80. Il questionne Menou qui lui dit : "J'ai pu faire le plein de gas-oil et je pars pour l'Angleterre. C'est notre devoir. Tu leur dira bien çà, là-bas, surtout".

 

"La Velléda" rentre à Sein au matin. Et, aussitôt des questions : "Et Ar Zénith ?" – "Ar Zénith ne reviendra pas. Il est parti pour l'Angleterre" – "Oh ! Et les jeunes que tu as transportés ?" – "Ils sont partis aussi pour l'Angleterre". Ces réponses font un choc. Les îliens commencent à comprendre la gravité réelle de la situation. Mais ils sont encore loin d'imaginer leur départ historique qui n'interviendra que 4 à 5 jours après. 

 

Ar-Zénith voile

 

 

 A SUIVRE...   Pour lire le troisième et dernier volet, cliquer ici 

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L
Rendons à ces HOMMES La Gloire qu'ils meritent
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