Le 15 novembre 1976, Jean Gabin décède à Neuilly-sur-Seine à l'âge de 72 ans. Monstre sacré du cinéma français, il était né à Paris (9ème) le 17 mai 1904. Ses débuts dans la vie (magasinier, cimentier, manœuvre) donneront à plusieurs de ses rôles, une authenticité populiste remarquable. Mais l’originalité et le talent de Jean-Alexis-Gabin Moncorgé, né dans une famille d’artistes, furent de pouvoir progressivement tout jouer. Il gravit l’échelle sociale au cinéma comme dans la vie.
C’est alors qu’il commençait à se faire connaître en tant que comédien, qu’il effectue à l’âge de 20 ans son service militaire dans la marine nationale, tout d’abord au bataillon des fusiliers marins à Lorient puis au Ministère de la marine à Paris.
Jeune comédien, il s’affirme peu à peu dans le cinéma français et obtient de grands rôles. Personne n’oubliera qu’il fut « Pépé le Moko » en 1937, le mécanicien de « La bête humaine » et le déserteur de « Quai des Brumes » en 1938. Mais le 1er septembre 1939, Hitler attaque la Pologne. La France proclame la mobilisation générale et déclare la guerre à l’Allemagne le 3 septembre.
La France subit la débâcle, l’Armistice, le bruit des bottes allemandes sur les Champs-Elysées et le début de l’occupation. Pour Gabin, c’en est trop ; avec son vélo et son accordéon, il gagne le sud de la France et demande un visa pour les Etats-Unis. Une attitude louable car il est pratiquement le seul des grands comédiens français à refuser de retourner à Paris et d’y travailler sous l’occupation allemande. « …Ce n’est pas en raison d’un patriotisme exagéré que j’ai refusé cette situation ; c’est que quelque chose en moi s’y refusait. ». Mais loin de la guerre, il vit mal son exil aux U.S.
Fin 1942, il tourne « L’imposteur », un film à la gloire de la France libre mais il juge son engagement insuffisant et décide de s’impliquer d’avantage pour être en règle avec lui-même. Une détermination morale inébranlable qui le fera rencontrer le capitaine de frégate Lahaye, représentant les Forces Navales Françaises Libres à New York et qui deviendra, après avoir commandé le porte-avions Arromanches, l'Amiral Inspecteur Général de la marine. Ce dernier prend en compte le volontariat de Gabin pour la durée de la guerre et lui fait la faveur de porter la casquette en lui octroyant le grade de second maître, eu égard à son âge relatif ! « Ce n’est pas à 40 berges, avec des cheveux blancs, que j’allais encore porter le pompon ! » disait-il.
C’est à Norfolk en Virginie, que le second maître Moncorgé embarque sur le pétrolier armé Elorn, qui doit traverser l’Atlantique en convoi, à destination d’Alger. Le transit se déroule sous la menace constante des U Boote de l’amiral Doenitz, guidés par les escadrilles de reconnaissance de la Luftwaffe. A bord, Jean apprécie la nécessaire solidarité qui habite l’équipage ; il est estimé, même si le « pacha », qui ne semble pas être un adepte du grand écran, ne reconnaît pas cet acteur mondialement connu. Sur la route de Gibraltar, à proximité des Açores, les U Boote se manifestent. Les sonneries résonnent dans tout le bord, les postes de combat et les explosions rappellent les réalités de la guerre. En Méditerranée, les attaques de la Lutftwaffe succèdent à celles des sous-marins. Les mitraillages des canots de sauvetage achèvent la sinistre besogne des avions.
Chef de pièce aux 40mm DCA Bofors (défense contre avions), Gabin tire avec acharnement contre les avions ennemis. Au printemps 1943, l’Elorn se présente devant Alger la blanche. Pour le second maître Moncorgé, le regard qu’il porte vers la ville est chargé du souvenir de « Pépé le Moko ». Sur les quais où le matériel de guerre s’amoncèle, les américains préparent les premiers débarquements des forces alliées sur le continent européen. Après la Sicile et l’Italie, c’est au tour de la Corse, première terre française à être libérée le 4 octobre 1943.
Des marins français, incorporés dans les corps francs d’Afrique au sein du bataillon Bizerte, ainsi que le 1er Régiment de fusiliers marins, participent à la reconquête de la Tunisie ; pour Gabin, c’est l’espoir de retrouver son arme d’origine ; mais la déception est grande quand lui est proposé, par le ministre de la Marine en personne, un poste au Centre artistique de propagande de la France libre. Il refuse catégoriquement et veut continuer à « faire la guerre ». Deux jours après, il est affecté comme instructeur au Centre « Siroco », l’école des fusiliers marins, située au cap Matifou à 28 km à l’est d’Alger.
1943, stage de fusiliers marins, instructeur: Jean GABIN
Monsieur Roger Alajarin, vice-président de l’amicale des anciens marins de Nîmes, à l’époque jeune marin en attente de partir aux USA, témoigne : « Nous l’appelions Pépé le Moko et il en riait avec nous ! Et il était très bien ! »
Le régiment blindé de fusiliers marins (RBFM) est créé le 8 avril 1944 au Maroc. Jean Gabin fait une demande pour y être muté. Malgré sa désignation de dernière minute, il n’est pas du voyage lorsque le régiment embarque à Mers El Kébir, vers l’Angleterre, le 29 avril 1944.
Le 3 août, la 2ème DB (division blindée) du Général Leclerc et le RBFM débarquent sur la plage de Sainte-Mère-Eglise pour livrer combat entre Avranches et Mortain avant d’entrer dans Paris le 25 août, sans Gabin, contre son gré ! Pugnace et refusant un statut de « planqué », le second maître Moncorgé reçoit un entraînement de chef de char puis, à l’automne 44, il rallie Brest, partiellement déminée, à bord du croiseur La Gloire. Incorporé au RBFM (2ème peloton, 2ème escadron) sous les ordres de l’enseigne de vaisseau Dan Gélinet, c'est à bord du tank "Souffleur II" (le précédent ayant été touché et brûlé), qu'il participe au début 1945, aux combats pour la liquidation de la poche de Colmar.. Surmontant sa claustrophobie et sans ignorer les dangers d’un tel environnement, il dissimule sa peur et assume ses fonctions avec toujours la même détermination. Les traits durcis par la guerre, le plus vieux chef de char du RBFM est apprécié et respecté par son équipage.
Équipage du "Souffleur II", chef de char: Jean GABIN
En avril 45, le régiment de Jean Gabin est chargé de s’emparer de Royan où la résistance allemande est farouche. La ville tombe après de violents combats menés par le RBFM, par les FFI, l’aviation et des bâtiments de la marine ; Souffleur II entre dans Royan libérée. Ordre est alors donné au régiment de rejoindre la 2ème DB qui livre toujours combat dans les territoires allemands. Le RBFM se rue pour participer à la victoire finale. A sa tête, le peloton de Gabin fonce en direction de…Berchtesgaden qu’il atteint le 3 mai ! Le second maître Moncorgé a le « privilège » de fouler le fameux « Nid d’Aigle » la résidence d’Hitler ! Depuis cette époque, en se tenant fréquemment à l’extérieur de la tourelle pour commander son char, Gabin a souffert continuellement des yeux.
Le cabochard au grand cœur, bougon et autoritaire, ne fut pas acteur lors du grand 1er défilé sur les Champs-Elysées. Il y assista de loin. Reconnaissant son char Souffleur II avec à sa tête son second, "Gogo", Le Gonidec, l’émotion transpira : « C’était con » dit-il, mais j’ai pas pu m’empêcher de chialer ».
Gabin resta d’une modestie totale après cet épisode de 27 mois de sa vie.
Il avait fait l’objet de la citation suivante : « Réserviste de la classe 24, s’est engagé aux Etats-Unis pour prendre part à la libération de la France. Embarqué sur le pétrolier Elorn, a contribué à repousser les violentes attaques d’avions ennemis au large du cap Ténés . Volontaire au RBFM, a pris ses fonctions de chef du char Souffleur II, devenant le plus vieux chef de char du régiment, a participé à toute la grande fin de la campagne de la 2ème DB, de Royan à Berchtesgaden, faisant preuve des plus belles qualités d’allant et de courage et de valeur militaire ».
Médaillé militaire, Officier de l’Ordre National du mérite, Croix de guerre 39/45, il devait recevoir, peu avant sa mort, les insignes d’Officier de la Légion d’Honneur.
A Brest, en novembre 1975, répondant au ministre de la défense à propos de la marine, Jean Gabin a dit ceci : «… C’est une très belle armée. Ce qu’il y a de magnifique chez les marins, c’est que tous les gars dépendent les uns des autres, tout le monde fait son boulot. C’est très chouette la Marine, j’adore la Marine ! »
A sa mort, ses cendres furent dispersées au large de la rade de Brest, depuis l’arrière de l’aviso Détroyat (F784), avec la présence du vice amiral d’escadre Gélinet, son chef en 1945 devenu son ami.
Article écrit par :
Pierre Rouch
Membre association Maistrance 63-64
Association « Aux Marins » mail : assauxmarins@orange.fr
Site internet : www.auxmarins.net - Blog : www.amedenosmarins.fr
Sources :
Bibliographie : « Gabin » d’André Brunelin. Editions Robert Laffont.
Crédit photos sites internet : "RBFM", "Commando Jaubert".