14 Janvier 2013
Un peu d'histoire
Dans la mythologie romaine, Pluton et ses deux frères, Jupiter et Neptune, renversèrent leur père, Saturne. Ils se partagèrent alors le monde : Jupiter choisit la terre et les cieux, Neptune, la mer, et Pluton le monde souterrain pour devenir le dieu des morts. Pluton eut pour épouse Proserpine (Coré ou Perséphone) qu'il enleva de la terre pour en faire la reine des enfers. Il correspond dans la mythologie grecque au dieu Hadès. On met sur le compte de Pluton, les tonnerres qui grondent pendant la nuit.
Pluton, est aussi le nom donné au corps céleste découvert en 1930, considéré alors comme la neuvième planète du système solaire.
Le croiseur mouilleur de mines Pluton
Sur le modèle du HMS Adventure de la Marine britannique, entré en service au début des années 1920, la Marine nationale décide en 1925 de construire un croiseur mouilleur de mines rapide. Plus petit et plus rapide que l’Adventure, le Pluton pouvait être utilisé en tant que transport de troupe (jusqu'à mille hommes). Les côtés des hangars à mines normalement ouverts, pouvaient être fermés par des panneaux.
Ses caractéristiques étaient :
Son armement comprenait 4 canons de 138 mm, 10 canons AA de 37 mm, et pouvait transporter 220 à 270 mines.
Son rayon d’action était de 4 510 nautiques à 14 noeuds.
Construit par l’arsenal maritime de Lorient, à partir de 1928, il est armé le 25 janvier 1932 et entre en service dans la flotte méditerranéenne. Mais il doit subir à l’arsenal de Toulon des modifications, tant au niveau des machines que du côté du système d’armes, durant les années de 1933 à 1935, et sa dernière phase de réparation comprenant divers travaux sur les machines et les canons se déroule de novembre 1938 à février1939.
Symbole du Pluton (source internet)
Le croiseur mouilleur de mines Pluton (source internet)
Le Pluton dans la guerre
La guerre s'annonçant , le Pluton est de nouveau transformé en mouilleur de mines. Il est Intégré, à l’été 1939, dans une escadre de Brest alors que dans un premier temps, transféré à Lorient, en mai 1939, il était destiné à remplacer le croiseur Jeanne d’Arc dans son rôle de bâtiment école.
Au début des hostilités, par des renseignements britanniques, l’Amirauté française croit savoir que les croiseurs de bataille allemands ont pris la mer pour opérer en Atlantique et qu’une attaque des côtes marocaines n’est pas à exclure. Dans cette optique, le Pluton reçoit l’ordre d’appareiller pour établir un champ de mines défensif, notamment contre sous-marins, en certains points du littoral devant les côtes du Maroc. Il part de Brest, en compagnie de la force Raid, le 2 septembre, à 20h00, avec 125 mines Bréguet embarquées à son bord. Arrivé à Casablanca, le 5 septembre, après avoir quitté son escorte, le Pluton, amarré à la jetée Delure, doit se tenir prêt à mouiller ses mines à partir de la nuit du 11 au 12 septembre. Cependant, les cuirassés allemands, repérés à leur mouillage habituel, ne semblent pas appareiller vers les côtes d’Afrique du nord. Dans ces conditions, l’amirauté rappelle l’escadre de l’Atlantique et donne l’ordre au Pluton de débarquer ses mines et ne faire qu’un simulacre de mouillage. En conséquence, le Commandant de la Marine au Maroc, le contre-amiral Sable, donne l’ordre de commencer, le 13 septembre au matin, le débarquement des mines.
L’accident du Pluton
Le débarquement des mines commence à 10h30 sous la direction du capitaine de vaisseau Dubois, commandant le Pluton, et sous la surveillance directe du lieutenant de vaisseau Le Cloirec, chef du service armes-sous-marines de ce bâtiment.
A 10h40, une longue flamme jaillit brusquement du pont arrière, accompagnée d’une forte détonation. Le Pluton est immédiatement enveloppé d’un immense nuage de poussière et de fumée. Une deuxième explosion se produit quelques secondes plus tard ; le pont s’ouvre en entier, un violent incendie se déclare. Les morts sont nombreux, tant sur le Pluton que sur les bâtiments navires avoisinants. Le mazout se répand sur l’eau et s’enflamme. La détonation est entendue à une très grande distance. La déflagration est telle que de nombreuses vitres sont brisées en ville et sur d’autres bâtiments de la Marine, distants de 1 000 mètres environ. Les toitures des magasins du port sont enlevées.
Le port après l’explosion (collection Norbert Renaut)
L’ordre est donné aux 12 sous-marins présents d’appareiller à 10h53
A 10h55, le Pluton s’incline sur bâbord et coule lentement.
A 11h07, l’entrée du port est interdite par signal à tout navire.
A 11h15, le bâtiment endommagé repose entièrement sur le fond.
Le Pluton repose sur le fond (source internet)
La perte du Pluton par l’explosion de ses mines cause également la perte de petits bâtiments de voisinage.
Le port de Casablanca après l’explosion (collection Norbert Renaut)
Les témoignages visuels
Du navire polonais L’Iskra
Un équipage de cadets d’un canot du navire polonais L’Iskra, naviguant à l’aviron, à environ 150 m par le travers du Pluton observe 3 phases :
Après l’accident une vedette de L’Iskra se rend sur l’arrière du Pluton et sauve 3 hommes blessés, l’un se débattant dans l’eau, l’un dans une embarcation accostée à l’arrière et le dernier sur la passerelle de la plage arrière.
L’Iskra appareille presque aussitôt et recueille 19 blessés réfugiés sur la jetée (dont 6 grièvement). Les premiers soins sont donnés par le médecin de L’Iskra bientôt rejoint par 3 médecins de la Marine française.
Rapport du lieutenant de vaisseau Le Cloirec
« Lorsque l’explosion se produisit sur l’arrière, je me trouvais occupé en compagnie du quartier-maître électricien Duez à préparer le débarquement des mines par la grue B. J’eus le temps de voir, avant de tomber, la chute du mât arrière. Je revins à moi entre la cheminée AV et le roof AV. Je m’occupais de canaliser les hommes qui sortaient valides ou blessés de toute part. je fis évacuer le pont des mines sous la direction du maître canonnier Commandre qui montra à cette occasion beaucoup de calme et de sang froid. Je passai à mon tour sur le quai pour tenter de téléphoner près du hangar 10 pour hâter les secours. Je rencontrai le chef d’état-major du commandement de la Marine au Maroc qui m’assura que les ambulances et le personnel médical arrivaient. Je revins à bord et aida au transport des blessés pour les mettre à l’abri d’une nouvelle explosion. En revenant sur le terre plein, je vis sauter un des parcs à munitions. Plus tard, sur le conseil des médecins militaires, je me fis transporter à l’hôpital pour me faire panser ».
Rapport de l’ingénieur-mécanicien principal Cantel, chef du service machines
Outre les circonstances de l’accident, cet officier mentionne les pertes importantes subies par le personnel du service-machines et le dévouement remarquable de certains marins.
Les causes de l’accident
Selon les conclusions de la commission d’enquête, écartant les hypothèses d’une attaque sous-marine ou d’un attentat criminel, l’accident a été provoqué par une explosion accidentelle d’une mine, au cours du désamorçage.
Les instructions en vigueur, édictées par l’Etat major de la Marine, et les Directions Techniques du domaine, prévoient que « chaque fois que cela est possible, l’embarquement et le débarquement des mines se font directement sans passer par l’intermédiaire d'un bugalet (sorte de chaland) ». Tel était le cas du Pluton, minimisant ainsi les dangers de manipulations des mines. En outre, avant leur débarquement, les mines devant être désamorcées, à bord.
En conséquence, il est vraisemblable que c’est au cours du désamorçage d’une mine que la première explosion se produisit, la seconde ayant été provoquée « par influence ».
Conclusion
La responsabilité du personnel du Pluton et notamment de son Commandant, n’est pas en cause ; ni celle du Commandant de la Marine au Maroc qui avait pris toutes les dispositions de sécurité (police sur le quai de débarquement, manipulation à terre des mines débarquées).
Des progrès sont à faire sur le matériel des mines, mais ces engins resteront toujours, par leur nature même, délicates à manipuler.
Les pertes en vies humaines
Par un courrier daté du 19 septembre 1939, le capitaine de frégate Benac, Commandant en second du Pluton adresse son rapport au contre-amiral, Commandant la Marine au Maroc.
Dans ce rapport, il ne peut donner avec exactitude l’effectif du nombre des présents à bord. La situation du bâtiment en personnel était la suivante :
Soit un total de 512 ; cependant, il certifie que le total de l’équipage ne dépassait pas 497.
Par un courrier daté du 8 décembre 1939, la Direction du Personnel Militaire de la Flotte (bureau des équipages) donnait au Contrôleur Général, chef de la section administrative du cabinet du ministre de la Marine, la liste nominative du personnel officier et non officier disparus lors de l’explosion du croiseur mouilleur de mines Pluton. Cette liste comprenait 9 officiers, dont le Commandant, et 162 officiers-mariniers, quartiers-maîtres et matelots « présumés disparus ».
Par un courrier daté du 6 décembre 1956, le capitaine de vaisseau Rostand, chef du service historique, faisait un rappel historique de la perte du Pluton à l’attention du Médecin Général, Directeur de l’école principale du Service de Santé de la Marine de Bordeaux. Le constat des pertes en vies humaines était le suivant :
Sur le Pluton :
Parmi le personnel du Centre de la Marine au Maroc :
En outre, un officier polonais, embarqué sur le torpilleur polonais Wilja, amarré dans le port a également été blessé.
Une note de synthèse sur le drame du Pluton, établi par M. Norbert Renaut, fils d’un tué, le quartier-maître mécanicien Auguste Renaut, donne une liste nominative du personnel officier et non officier disparu lors de l’explosion du Pluton. Cette liste comprend 9 officiers, dont le Commandant, et 173 membres de l’équipage.
Les disparus du Pluton sont les premiers marins morts pour la France de la seconde guerre mondiale.
Le cimetière Ben M’Sick à Casablanca
Tous les marins de la dernière liste ci-dessus sont enterrés au cimetière de Ben M’Sick à Casablanca, en compagnie des autres marins du torpilleur La Railleuse qui coula dans le port le 23 mars 1940.
Pour ce qui concerne les marins du Pluton, la plupart des inscriptions sur les tombes portent la mention « INCONNU – LE PLUTON – MORT POUR LA FRANCE le 13. 09. 1939 ».
Ces tombes sont très bien entretenues par le Souvenir Français.
Une tombe, parmi d'autres, des disparus du Pluton - Serait-ce celle d'Auguste Renaut d'après les indications de son fils, Norbert Renaut - (collection Norbert Renaut) ?
Les marins du Pluton au cénotaphe de la pointe Saint-Mathieu
Les photographies des 13 marins suivants sont apposées sur les parois des cryptes du cénotaphe, partie intégrante du Mémorial national des marins morts pour la France situé à la pointe Saint- Mathieu (Plougonvelin – Finistère) . Leur histoire peut être consultée sur le site internet de l'Association Aux marins www.auxmarins.net rubrique Les Marins.
Afin de permettre d'honorer la mémoire des autres marins du Pluton, leurs familles sont priées de contacter l'association Aux marins (assauxmarins@orange.fr) ou 02 98 38 07 79.
Georges Kevorkian
Responsable commission Recherches historiques de l'Association Aux marins
Sources
Divers sites sur internet relatifs au croiseur mouilleur de mines Pluton
Dossier remis à l’association Aux Marins par M. Norbert RENAUT